11h53 CEST
31/07/2024
Infrastructure très sollicitée pour les évènements sportifs et culturels, le plus grand stade de Kinshasa n’est pas que connu pour accueillir les grands événements. Ces dernières années, il s’illustre aussi par le nombre de morts lors des événements qu’il accueille.
Le stade des Martyrs de Kinshasa a encore fait parler de lui ce week-end, avec le décès de 9 personnes, qui assistaient à un concert, organisé par Mike Kalambayi, l’un des chanteurs Gospel les plus connus du pays.
Les gradins étaient pleins à craquer. Si pour le moment, on ne sait pas officiellement ce qui a été la cause de la bousculade qui a occasionné les décès, les images partagées sur les réseaux sociaux sont insoutenables.
On voit, dans l’une des séquences devenue virale sur les réseaux sociaux, des personnes agrippées ou tentant de grimper sur une grille surmontant apparemment l’un des murs du stade.
Certaines de ces personnes tentant de grimper sur la grille, appuient sur quelques victimes qui visiblement s’étranglaient, sous une grille déchirée par le bas, alors qu’en face, d’autres tentent de les secourir, en élargissant la déchirure de la grille.
Pour le moment, on ne sait pas si la personne apparaissant sur cette vidéo devenue virale a survécu, ou si elle a trépassé. Mais les autorités ont fait un bilan de 9 morts, lors de ces bousculades, qui ne sont pas les premières du genre.
En octobre 2022, onze personnes avaient péri dans le même stade et dans les conditions similaires de bousculades lors d’un concert du célèbre chanteur congolais Fally Ipupa.
Les autorités congolaises ont annoncé l’ouverture d’une enquête pour déterminer les circonstances qui ont provoqué la bousculade et identifier les victimes.
Le ministère de l’intérieur a averti que les activités extra sportives sont désormais interdites à la fois dans le mythique stade des Martyrs, que dans le stade Tata…
«Nous ne pouvons tolérer que des événements festifs mettent en danger la vie de nos concitoyens. Provisoirement, toutes ces activités sont suspendues. Les organisateurs devront envisager d’autres lieux plus sécurisés, pour leurs événements. En attendant, ces deux sites sont interdits pour ce type d’activités », a déclaré Jacquemain Shabani à l’issue d’une réunion d’urgence tenue dimanche à Kinshasa.
Principaux impactés de cette annonce gouvernementale, les artistes les plus célèbres de la rumba congolaise, Fally Ipupa et Fere Gola, dont les fans se livrent souvent à des défis sur la toile, et en terme de mobilisation pour la présence lors des événements qu’ils organisent.
Ferre Gola préparait la première édition du festival Festigola du 2 au 4 août au stade Tata Raphael de Kinshasa, alors que Fally Ipupa lui apprêtait un double concert au stade des Martyrs les 10 et 11 août.
Ce qui aurait été la première apparition de «Aigle » devant les « warriors » (ses fans) dans le mythique stade de Kinshasa, après celle d’octobre 2022 au cours de laquelle 11 personnes ont perdu la vie.
Pour les deux artistes, les billets étaient déjà en vente avant l’annonce de l’annulation de leurs activités, sans préciser de nouvelle date.
Difficile d’estimer leurs pertes en termes financiers, mais les deux artistes ont pour habitude de remplir ce stade de 80 mille places assises, et le nombre de personnes présentes est souvent largement dépassé et difficilement contrôlable, dans une capitale de plus de 17 millions d’habitants.
En terme de capacité, c’est le quatrième stade le plus grand d’Afrique. C'est le deuxième plus grand en Afrique subsaharienne après le First National Bank Stadium d'Afrique du Sud, inauguré en 1989.
Sa construction démarre sur les décombres de Culturana, une salle culturelle mythique des années 60 à 80, détruite pour la circonstance, le 14 octobre 1988, date anniversaire du dirigeant congolais Mobutu Seseseko.
Lorsque le constructeur chinois livre le chantier en 1994, le maréchal le surnomme Stade le Kamanyola, « dans l’objectif de célébrer ses victoires à Kamanyola », explique Jean-Marc Matwaki, chroniqueur culturel congolais.
Les faits remontent à 1964, lorsque le maréchal a fait face aux Simba, un regroupement de plusieurs mouvements rebelles dans la zone de Kamanyola dans le Sud Kivu.
Kamanyola est une ville mythique du sud Kivu que l’ancien dirigeant affectionnait, et dont il donna le nom à la fois à une unité de l’armée de plus de 12 000 hommes, à son bateau personnel, et au plus grand stade du continent devenu aujourd’hui stade des martyrs.
Le 17 mai 1997, les rebelles de l’Association des Forces Démocratiques de Libération du Congo (AFDL), alors appuyés par le Rwanda et l’Ouganda, partis de l’Est du pays réussissent à entrer dans la capitale et renversent le régime du président Mobutu, au pouvoir depuis 1965, et installent Laurent Désiré Kabila au pouvoir.
Laurent Désiré Kabila décide alors de débaptiser le plus grand stade de la capitale, et lui attribue le nom de « Stade des Martyrs de la Pentecôte ». Selon Jean-Marc Matwaki, il était question de rendre hommage aux martyrs assassinés sur les lieux où l’infrastructure a été érigée.
Les faits remontent à 1966. Mobutu vient de renverser, moins d’un an plus tôt, le président Kasavubu et son Premier ministre Patrice Lumumba.
Le 1er juin 1966, le marechal décide de faire pendre, devant le public, sur les lieux où le stade a été construit, ceux qui sont entrés dans les mémoires comme les conjurés de la Pentecôte.
Il s’agit de Jérôme Anani, Evariste Kimba, Alexandre Mahamba et Emmanuel Bamba, quatre ministres du gouvernement de Lumumba, renversé en novembre 1965, et devenus « opposants » à Laurent Désiré Mobutu.
Condamnés à mort et exécutés le jour de la Pentecôte, Mobutu les accusait d’avoir pris contact avec des hauts gradés de l’armée pour préparer un coup d’État contre lui.
Son successeur, Laurent Désiré Kabila, a finalement décidé de leur rendre hommage à travers un lieu mythique du pays, le Stade des Martyrs. Il y tiendra son tout premier discours grand public, le 30 juin 1997, juste un mois après qu’il a pris le pouvoir en renversant le président Mobutu.
La musique congolaise occupe une grande place dans l’espace africain et international, avec plusieurs générations qui ont réussi à se passer le témoin ou qui cohabitent, maintenant les différents rythmes congolais toujours au-devant de la scène.
Le Stade des Martyrs, de par sa capacité et sa position au cœur de la capitale, est pour ces artistes entre les "c’est le stade où, lorsqu’on a fini de faire le tour du monde, on vient démontrer sa popularité », pour montrer une certaine légitimité", estime Jean Marc Matwaki.
Et chez les artistes, c’est Papa Wemba qui lance les hostilités en organisant en 1999 le festival Fula Ngenge, pour marquer ses 50 ans d’âge et ses 50 ans de carrière. Le succès de l’évènement organisé du 9 au 15 aout sonna comme un défi pour ses collègues.
Quelques mois plus tard, Wenge maison mère, avec comme porte-flambeau Werrason ou encore Bill Clinton Kalondji emboîtent le pas à Papa Wemba pour remplir le mythique stade.
Koffi Olomidé, déjà au sommet de son art, se lance avec son mythique groupe Quartier Latin, rythmé par la voix suave d’un certain Fally Ipupa en 2003, pour confirmer qu’il est désormais dans la cour des grands.
Dans une de ses chroniques très suivies sur le réseau social TikTok sur la musique congolaise, l’écrivain congolais Alain Mabanckou estime que le concert de Fally Ipupa le 29 octobre 2022 a été l’occasion pour lui de confirmer son « charisme en tant qu’artiste ; ce concert devient comme un élément de légitimation officielle et irréfragable de la puissance artistique » du chanteur congolais.
Pourtant, Fally Ipupa avait déjà été le tout premier artiste congolais à chanter à l’Olympia de Paris en 2007, et avait multiplié des apparitions dans cette salle, qui est l’une des plus convoitées dans l’espace francophone.
C’est dire la symbolique que ce stade représente chez les artistes congolais. Le groupe Wenge Musica, amené par JB Mpiana et Werrason disloqués en 1997, a choisi le stade des martyrs pour seller la réconciliation, lors d’un grand carton, avec leur orchestre Wenge Musica BCBG 4 x4 le 30 juin 2022.
Le stade accueille aussi les grands événements comme les Jeux de la francophonie de 2012, les grands meetings politiques et les cérémonies d’investiture des chefs de l’État.