17h23 CET
05/11/2024
Le nouveau round des clash entre le Cameroun et la Côte d'Ivoire fait rage depuis quelques semaines au sujet de la chanson de l'artiste Camerounais Prince Aimé, un nouvel épisode d'un feuilleton qui date de près de deux décennies.
C'est une chanson qu'on qualifierait d'anodine qui ravive la flamme éteinte, semblait-il, depuis la fin de la dernière CAN tenue en Côte d'ivoire.
L'oeuvre musicale est de Prince Aimé, un chanteur malvoyant camerounais, sortie en 2004. En son temps, cette chanson racontant la malencontreuse histoire amoureuse de ce chanteur malvoyant avec une dulcinée nommée Viviane, a fait le tour des cabarets et lieux dansants du continent.
Plus d'une décennie plus tard, la chanson est remise au goût du jour par le chanteur ivoirien de Couper Décaler, Debordo Leekunfa, grace au réseau social Tiktok.
On est en 2019, Débordeau apparait avec une jeune dame, tembourinant sur une table, et frédonnant le refrein de cette chanson du rythme Makossa. Mais en ce temps, le buzz se limitera sur les réseaux sociaux.
Mais en 2024, la reprise de Debordo refait surface, grace à une "trend'' (tendance) dans le jargon du réseau social Tiktok. L'artiste ivoirien entame alors des pourparlers, pour un remix de la chanson, en collaboration avec l'auteur compositeur.
Les pourparlers qui vont bon train jusque là, connaitront un revirement, lorsqu'une opposition naitra côté Camerounais, avec en tête de file, le rapeur Maalox. L'ivoirien sera obligé d'abandonner le projet.
En abandonnant le projet, l'artiste ivoirien se promet de se "consoller, en sortant un tube intitulé "Djenaba'', qui rencontrera la sollidarité des internautes, faisant trois millions de vues en 24 heures.
Les internautes ivoiriens montant au créneau, pour railler leurs "voisins" camerounais, leur reprochant d'avoir fait passer l'occasion pour l'artiste malvoyant de se faire une santé financière et une popularité.
En face, le camp camerounais promettent de laver l'affront, et d'assurer la même sécurité à leur compatriote, à travers un remix qui battra le record de vues de ''Djenaba" de Debordo.
Une équipe dénommée ''cinq grosses têtes de la musique Camerounaise'' est constitué pour conduire un projet artistique, qui a abouti à une publication d'un vidéogramme le 4 novembre.
En moins de 24 heures, le clip cumule près de 2,5 millions de vues. Pour les internautes et influenceurs camerounais, "c'est une cause nationale", de battre le record de la chanson de Debordo Leekunfa.
Pour atteindre leur objectif, les camerounais ont décidé d'envahir la messagerie de Samuel Eto'o, ancienne star de football, qui cumule près de 24 millions d'abonnés sur ses plateformes digitales, et Francis Ngannou, star de la boxe, qui lui a une dizaine de millions d'abonnés.
Samuel Eto'o a partagé le lien de la vidéo, avec un message humouristique "ne me tuez pas les gars". Francis Ngannou n'a pas réagi jusqu'ici, et les Camerounais lui demandent de ''passer le lien à son ami Christiano Ronaldo, pour tuer le game".
Les citoyens des deux pays s’appellent depuis quelques années « la belle-famille ». L’explication la plus plausible à trouver à ce surnom, c’est le fait que la plus grande star du football camerounais de ces 20 dernières années, Samuel Eto’o, a pris pour épouse une femme de nationalité ivoirienne.
Le surnom s’est définitivement ancré dans les habitudes lorsque, des mois durant, Ténor, une star du rap camerounais très célèbre en Côte d’Ivoire pour sa proximité avec le très populaire chanteur de Coupé Décalé de regretté mémoire, DJ Arafat, a commencé à s’afficher avec la comédienne ivoirienne Eunice Zounon, et que les deux dévoilent leur intention de se marier.
Les deux tourtereaux font des tours réguliers chacun dans le pays de l’autre, comme pour faire grandir l’amour entre les citoyens des deux pays, interchangeant régulièrement leurs maillots de supporter, au gré des matchs de football, chacun supportant l’équipe de l’autre.
Sur les réseaux sociaux et quelques fois dans la vie réelle, les relations entre les deux peuples ressemblent à des scènes de ménage, où les conjoints se disputent publiquement sous les regards médusés de l’assistance, mais gardent des liens soudés.
L’une des illustrations de cette relation tumultueuse, c'est la présence ivoirienne lors de la dernière coupe d’Afrique des nations abritée par le Cameroun en janvier-février 2022.
Une polémique enfle sur les réseaux sociaux, au sujet des cas de covid-19 dans les sélections qui prennent part à la compétition.
Le pays organisateur est sur la sellette, les différents pays présents soupçonnent les autorités camerounaises de manipuler les résultats des tests, pour éliminer les joueurs des équipes devant affronter les Lions Indomptables.
Tout a pourtant bien commencé. Les Éléphants de la Côte d’Ivoire logés dans la poule-E, évoluent au stade de Japoma à Douala.
Ils reçoivent un accueil chaleureux, et les Camerounais prennent d’assaut les gradins lors du match qui oppose « la belle-famille » au Nzalan National de Guinée-Équatoriale, exultant de tout cœur les gestes techniques de l’équipe ivoirienne, comme s’il s’agissait d’un match des Lions Indomptables. Les Éléphants s’imposent sur le score d'un but à zéro.
Or, les choses allaient rapidement basculer, à l’entame de la seconde phase du tournoi. La cause ?
Les Lions Indomptables doivent affronter les Comores, considérés comme les petits poucets des 8èmes de finale.
Un scandale explose. Dans l’équipe du Cameroun, aucun cas de Covid n’est enregistré, alors qu’en face, 12 tests sont revenus positifs, dont ceux des deux gardiens de buts valides.
Le troisième gardien étant blessé, les Comoriens sont obligés de faire jouer un défenseur dans les cages, et vont s’incliner 1-2 face au pays organisateur.
Des influenceurs ivoiriens vont délier les langues sur les réseaux sociaux, et « oser » soutenir « des adversaires » dans l’avalanche des critiques qui pleuvent. La « belle-famille » n’apprécie pas le geste, et les conséquences ne vont pas tarder.
Quelques jours avant le match de 8èmes de finale qui oppose la Côte d’Ivoire aux Pharaons d’Egypte, sous l’instigation de leurs influenceurs, les Camerounais s’adonnent à cœur joie à l’apprentissage de l’hymne national égyptien, les vidéos deviennent virales sur les réseaux sociaux.
Le stade de Japoma bourdonne le 26 janvier, lorsque « Belâdi, Belâdi, Belâdi» (titre de l’hymne égyptien) est entonné.
Le refrain est repris en cœur par des milliers de Camerounais, qui vont encourager l’Egypte jusqu’à la fin du match que « la belle-famille » perd aux tirs aux buts, synonyme d’élimination.
Pour les Camerounais, les Ivoiriens ont mérité leur sort « une femme doit respecter son mari, si elle lève la tête, son mari doit la corriger ». Ce dicton est devenu viral sur les réseaux sociaux camerounais, après le match.
La dernière guéguerre entre Ivoiriens et Camerounais lors de la dernière CAN, a viré à une comparaison sur les niveaux de développement.
Des groupes spécialisés sur le clash entre Camerounais et Ivoiriens pullulent sur les réseaux sociaux, chacun ventant les infrastructures de son pays, et dénigrant celles des autres.
C’est un reportage diffusé sur une télévision camerounaise émettant à Yaoundé et montrant la capitale camerounaise envahie par la poussière à quelques jours du début de la CAN 2021, qui vaut au Cameroun le nom de « poussierekro » (village de la poussière en Baoulé, une langue parlée dans le centre de la Côte d'Ivoire) donné par certains « clasheurs » ivoiriens.
Ceux-ci donnant plutôt l’image d’un pays développé où foisonnent ponts et autoroutes, alors que leurs collègues « clasheurs camerounais » recherchent des quartiers désœuvrés de la capitale économiques Abidjan, pour répondre à « la belle-famille ».
Souvent, dans leurs groupes de clash, on ne manque pas de lire « faut pas que les Ivoiriens/Camerounais voient ça, ils vont se moquer de nous ».
Hasard de l’histoire, après le Cameroun, c’est la « belle-famille » qui accueille la compétition.
La dernière pluie qui a inondé le stade Ebimpé, le plus grand du pays, et les moqueries camerounaises qui ont suivi, a donné certainement l’avant-goût de ce que seront les clashs entre Camerounais et Ivoiriens lors de cette compétition.
L’un des derniers clashs en date a été occasionné par la désignation de l’influenceuse camerounaise Diana Bouli par le comité d’organisation de la CAN ivoirienne, comme ambassadrice de l’événement.
Pourtant très bien accueillie en Côte d’Ivoire lorsque l’influenceuse qui totalise près de 6 millions de followers sur les réseaux sociaux s’y est installée au premier trimestre 2023, sa nomination a provoqué une levée de boucliers de la part des influenceurs ivoiriens.
Dans l’histoire des rencontres footballistiques qui opposent la Côte d’Ivoire et le Cameroun, celle du 4 septembre 2005 est un classique.
Le match compte pour les éliminatoires Zone Afrique, pour le Mondial 2006 qui doit se jouer en Allemagne. Le groupe 3 est qualifié alors de groupe de la mort, parce que regroupant trois grosses pointures du continent : L’Egypte, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, en plus du Soudan.
La Côte d’Ivoire qui avait manqué la qualification pour la CAN tunisienne de 2004, réussit à déjouer les pronostics, en occupant la 1ère place du groupe, et tient provisoirement son ticket pour sa toute première participation à une phase finale de coupe du monde.
Un seul match nul face aux Lions Indomptables qu’ils accueillent au Stade Felix Houphouët Boigny d’Abidjan, envoie directement les éléphants en Allemagne.
La Côte d’Ivoire qui tient sa génération dorée, constituée de stars comme Didier Drogba, attaquant de Chelsea en Angleterre, Kolo Touré qui est tout feu tout flamme à Arsenal, toujours en Angleterre ou encore Arouna Dindane du FC Lens en France, sont presque sûrs de faire du match face au Cameroun une formalité.
Mais avant la confrontation, Samuel Eto’o, alors cadre de l’équipe des Lions Indomptables aux côtés de Rigobert Song au sommet de son art, ou encore de Geremie Sorel Njitap qui évolue au Réal de Madrid, promet aux Ivoiriens en conférence de presse de « les faire dormir à 19H ».
Le stade Houphouët Boigny est plein à craquer, les supporters des éléphants festoient déjà, lorsque la rencontre démarre.
L’attaquant camerounais Achille Webo, réussissant à profiter du trop d’attention sur la star du FC Barcelone, Samuel Eto’o, inscrit un triplé et fait la différence face au doublé du capitaine ivoirien Didier Drogba.
Les cris de joie ont laissé place aux larmes, le Cameroun vient de voler la première place à la Côte d’Ivoire.
Un point les sépare désormais, les deux équipes ont désormais besoin chacune d’une victoire pour pouvoir composter le ticket pour la coupe du monde.
Mais les Lions Indomptables seront tenus en échec, un but partout face à l’Egypte à Yaoundé, après avoir raté un pénalty aux arrêts de jeu.
De l’autre côté, les Éléphants se sont imposés face au Soudan, et ont pu avoir leur qualification pour discuter leur unique mondial jusqu’ici.
Seulement, la défaite du 4 septembre n’a pas quitté les esprits de sitôt. Le célèbre groupe de Zouglou (rythme traditionnel ivoirien), Magic System, a d’ailleurs sorti un tube qui fait toujours danser en Côte d’Ivoire.
La chanson "les éléphants" a été commandée par la fédération ivoirienne de football, raconte A’Salfo, le leader du groupe Magic System et a été enregistrée avec toute l’équipe de la cuvée 2006.
Dans le clip, on voit les stars de l’équipe s’adonner à cœur joie à se moquer du Cameroun « c’était le 4 septembre, ici à Abidjan, ils nous ont gagnés, on dit-on est éliminés » ; entend-on dans la chanson, en référence à la défaite ivoirienne du 4 septembre.
« Ce qu’ils ont oublié, c’est que découragement n’est pas ivoirien » ; poursuit la chanson.
Didier Drogba pousse la chansonnette lorsqu’il faut parler du pénalty qui a couté au Cameroun sa place « Penalty à Yaoundé… Même s’il n’y avait pas gardien, ça n’allait pas rentrer », chante le capitaine ivoirien dans sa partition.
Cette culture de clash par la chanson semble s’être perpétuée. Sur les réseaux sociaux, des groupes de jeunes ivoiriens et camerounais s’affrontent régulièrement par chansons interposées.
Dans l’une de ces chansons de clash, « hué », un groupe ivoirien accuse les Camerounais d’avoir tourné le dos à la Côte d’Ivoire lors de la CAN au Cameroun.
« Ils nous ont hué, ils ont hué hymne national. Quand nous on jouait, Judas n’était pas dans les tribunes, ils ont attendu qu’on nous piétine pour se retrouver de l’autre côté », chante un groupe de jeunes ivoiriens, dans une chanson devenue virale en 2022 sur le réseau social Tiktok, dans laquelle ils promettent « le prochain rendez-vous c’est chez nous, on va vous loger ».
Dans la même période, un groupe de la ville de Ngaoundéré dans le nord du Cameroun s’invite dans le clash « avant de revendiquer, il faut parler du début. On vous a supporté, on vous a soulevés jusqu’au ciel… Mais comme vous êtes des judas, vous nous avez trahi à la première occasion », chantent ils, dans le même rythme Zouglou, que les Ivoiriens.
Tout cela est resté jusqu’ici des querelles d’amis qui se charrient et se portent secours, lorsque besoin se fait ressentir. En témoigne cet hommage rendu aux Camerounais par l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo.
Dans son livre Pour la vérité et la justice il raconte « Parfois j’avais des visites sous ma fenêtre à la Haye, et lorsque je demandais à mes collaborateurs qui sont-ils ? Ils me répondaient que ce sont des Camerounais venus me soutenir ».
Le clash des deux pays « frères-ennemis » reste à suivre de près, le groupe « Baladji » de Ngaoundéré a déjà annoncé en chanson « Côte d’Ivoire on arrive, le continent arrive ».
Le principal enjeu cette année semble être de ne pas être éliminé avant l'autre. Le premier à sortir de la compétition subira les moqueries de l'autre.