L'espoir brisé : quand le rêve d'un jeune footballeur vire au cauchemar

17h53 CET

07/11/2025

Ils avaient entre 18, 19 et 20 ans avec un talent, un rêve : percer dans le football. Recrutés pour un test au Ghana, ils ont été floués, puis séquestrés. L'un d'eux n'en est jamais revenu. Derrière ce drame, un réseau d'arnaques bien rodé exploite la passion des jeunes footballeurs africains. Enquête sur une industrie qui prospère sur l'espoir et la vulnérabilité des jeunes.

Le rêve, puis le drame : le cas Cheikh Touré a bouleversé le Sénégal

Pour tout jeune qui aspire à un meilleur avenir, exploiter une opportunité du moment est tout à fait naturel. Quel jeune talent négligerait-il la chance de devenir le prochain Sadio Mané de sa génération, Edouard Mendy ou Kalidou Koulibaly, pour ne citer que ceux-ci ?

C'est dans cette logique que le jeune Cheikh Touré, informé de la possibilité de porter sa jeune carrière à un autre niveau, à travers une académie de football basée au Ghana, est parti, sur invitation d'un de ses amis d'enfance, à cette macabre aventure, de laquelle on lui faisait miroiter un test qui pourrait le conduire dans un club professionnel au Maroc.

Décidé à ne pas rater cette chance qui ne survient pas tous les jours, il embarqua le lundi 6 octobre 2025 dans un bus à destination de Kumasi, ville située dans la région Ashanti, au sud du Ghana, à 250 kilomètres d'Accra, la capitale.

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Qui était Cheikh Touré ?

Âgé de 20 ans, le jeune Cheikh Touré a d'abord fait ses débuts avec l'Asc Lakalé, non loin de son quartier ASECNA, avant de rejoindre le centre Cana de Guédiawaye, spécialisé dans la formation des gardiens de but, pour se perfectionner.

C'est par la suite qu'il intègre l'académie Esprit Foot de Yeumbeul, une commune du département de Keur Massar, dans la région de Dakar, pour continuer sa passion sous une autre dimension.

Très présent sur les réseaux sociaux, surtout sur TikTok, où il était suivi par plus de 96 000 abonnés au moment de voyager, avec plus d'un million de "J'aime", Cheikh Touré publiait souvent ses prestations de gardien de but. Sa dernière publication date du 2 octobre 2025 où il est montré à l'entrainement à la plage. Après sa mort, les internautes ont continué à s'abonner sur son compte qui a désormais franchi le cap des 100 000 abonnés.

Elevé dans une famille très modeste de la banlieue dakaroise, il avait l'ambition de réussir dans le football pour prendre en charge sa mère Diodio Sokhna, dont il était le seul garçon.

"Mon fils avait l'ambition de m'aider, de me prendre en charge, de m'entretenir. Il était très conscient de la situation dans laquelle je suis. Il avait vraiment pitié de moi et de la famille. Toute son ambition était de porter la famille. Mais c'est ça que le bon dieu a décidé. Je m'en remets à lui", raconte Diodio Sokhna.

Les circonstances du drame

En se rendant au Ghana, sur invitation d'un de ses amis d'enfance, pour intégrer un centre de football où il devait subir des tests d'entrée, Cheikh Touré n'avait jamais imaginé qu'il avait un rendez-vous avec la mort.

En effet, selon différents témoignages relayés dans la presse locale et sur les réseaux sociaux, Cheikh Touré aurait été invité par son ami d'enfance, Khadim Ndiaye, dit Bamba, à rejoindre le club ghanéen PAC Academy FC où il serait déjà intégré.

Un tour effectué au domicile de celui-ci, dans le même quartier, derrière le Commissariat de police de Yeumbeul Nord, nous a permis de rencontrer sa mère, qui nie tout de l'implication de son fils dans cette affaire. "Je ne peux rien vous dire sur cette thèse. C'est seulement Bamba qui puisse nous éclairer là-dessus, et je ne sais pas où il est. J'ai entendu qu'il est arrivé au Sénégal, mais je ne l'ai pas encore vu", a souligné la maman, visiblement affectée, nerveuse et fatiguée.

Après avoir été contacté et convaincu par son ami qui était déjà établi à Kumasi, Cheikh Touré aurait reçu une fiche à remplir, qu'il a par la suite renvoyé au supposé coach de l'accadémie. Quelques jours après, il a été contacté par ce dernier lui annonçant qu'il a été retenu pour un test, à condition d'effectuer au plus vite, de ses propres moyens, le déplacement à Kumasi.

C'est alors que Cheikh entreprit le lundi 6 octobre 2025 un long voyage, de près d'une semaine, à partir du garage des Baux Maraichers à Pikine, en passant par le Mali. Mais arrivé à Kumasi, le monde n'était plus une partie de plaisir pour le jeune gardien sénégalais, qui découvre plus tard qu'il était tombé dans le piège d'un vaste réseau d'escroquerie et d'extorsion de fonds.

Il contacte sa mère pour lui signifier qu'il devait verser 850 000 FCFA au plus vite, pour des frais de dossiers et de logement à l'hôtel, au cas échéant, il serait renvoyé.

Ce qui était au début un rêve s'était vite transformé en un véritable cauchemar. Désemparée, la famille réussit à rassembler et à envoyer 500 000 FCFA à un numéro fourni par un supposé coach.

Sur les 350 000 FCFA qui restaient de la somme à compléter, Cheikh Touré avait à nouveau sollicité sa mère pour lui envoyer 150 000 FCFA. Ce qui a été fait avec beaucoup de difficultés et de sacrifices.

C'est à partir de ce moment que Diodio Sokhna comprit que son fils n'agissait pas de son plein gré et qu'il y avait des gens derrière lui qui dictaient ce qu'il devait dire.

Après quelques jours de silence et d'incertitude, Diodio reçoit un appel téléphonique lui annonçant la mort tragique par accident de son fils, le 16 octobre 2025.

On lui envoie sur WhatsApp des vidéos de sa dépouille présentant des blessures au ventre, au cou et sur le front.

"En voyant les images, mon cœur m'a montré que c'était mon fils. En regardant ses photos, j'ai senti une douleur intense, un sentiment de surprise, de désespoir et de désolation. Je pensais que c'est le monde qui s'était effondré sur moi. J'étais dévastée", raconte Diodio Sokhna, avec beaucoup de peine.

Même si elle dit s'être ressaisie pour s'en remettre à Dieu, qui est "omniprésent", Diodio restera à vie hantée par les violentes images de son fils assassiné.

"En le créant, Dieu avait décidé que c'est lui qui irait à la rencontre de la mort. Un jeune qui ne connaissait que Touba, Diourbel ou Dakar où il habite, si Dieu le conduit dans un pays où il n'avait que l'espoir de réussir, je ne peux que me conformer à la décision divine", dit-elle.

L'information est largement relayée sur les réseaux sociaux et suscite beaucoup de colère chez les Sénégalais. C'est le début d'une vaste campagne d'indignation à l'échelle nationale et internationale.

L'intervention des autorités sénégalaises

L'Etat du Sénégal entre en action à travers un communiqué du ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur, qui demande aux autorités du Ghana de faire la lumière sur cette affaire.

Accusé partout sur les réseaux sociaux, le PAC Academy FC pour sa part sort un communiqué publié le dimanche 19 octobre, pour dégager toute responsabilité dans la mort de Cheikh Touré.

"Nous tenons à préciser que notre club n'a aucun lien avec les circonstances entourant ce tragique incident. Tout en présentant nos condoléances aux familles touchées, nous nous dissocions de toute information trompeuse suggérant une quelconque implication de notre équipe", a indiqué le club.

Le 20 octobre, une enquête est annoncée par le Département régional des enquêtes criminelles (CID) de Kumasi, qui à travers un communiqué, annonce l'ouverture d'une enquête sur les circonstances du décès de Cheikh Touré, et révèle quelques indices.

Le 21 octobre, la Fédération sénégalaise de football (FSF), dans un communiqué, a exprimé sa "profonde tristesse" après l'annonce du décès de Cheikh Touré.

Convaincue que le jeune gardien aurait été victime d'un réseau de faux recruteurs, la FSF a mis en garde les jeunes joueurs, les familles et les responsables des académies contre "les offres non vérifiées de tests ou de transferts à l'étranger".

Mieux, elle a conseillé aux jeunes de "toujours passer par les circuits officiels et (de) s'informer auprès des autorités sportives avant tout déplacement".

Elle a promis, en relation avec les pouvoirs publics, de renforcer la sensibilisation, l'encadrement et la surveillance pour éviter ces types de fraudes dans le futur.

Le président de la Fédération sénégalaise de football, accompagné d'une forte délégation, s'est également déplacé au domicile de la famille de Cheikh Touré à Yeumbel, le dimanche 26 octobre dernier, où il a présenté ses condoléances.

https://www.youtube.com/watch?v=26KVsFfD9JU

Derrière le rêve : les circuits de la tromperie

L'affaire Cheikh Touré qui s'est soldée par un meurtre n'est pas un cas isolé. C'est juste la partie émergée de l'iceberg. Selon plusieurs témoins, un nombre sous-estimé de jeunes sénégalais sont encore pris sous la trappe d'un grand réseau d'escroquerie, ayant son point de chute au Ghana, et dans d'autres pays de la sous-région.

Aliou Mangane (nom d'emprunt) a tout perdu, le temps d'un voyage au Ghana. Alors qu'il travaillait et gagnait bien sa vie au Sénégal, il a été démarché par les circuits de la tromperie. Traumatisé et très affecté par cette mésaventure, il a juré de ne plus en parler, pour passer l'éponge et protéger sa santé mentale.

C'est Abdoulaye Thiam, son meilleur ami, qui raconte ce qui lui est arrivé entre fin 2023 et début 2024. "Au départ, on lui avait envoyé un contrat de travail d'une société établie au Ghana. Il avait eu ce contact par l'intermédiaire d'un ami de longue date qu'il n'avait plus vu depuis longtemps. Convaincu par ce dernier, il avait alors décidé d'arrêter son boulot pour le rejoindre. Il emprunta de l'argent et voyagea. Mais arrivé sur place, il a découvert que ladite société n'existait pas", raconte Abdoulaye Thiam, carreleur.

Comme pour le cas de Cheikh Touré, c'est aussitôt arrivé à destination que Aliou Mangane a commencé à appeler ses parents et à leur demander de l'argent.

Finalement, pour ne pas trop mettre la pression sur sa famille sur le plan financier, il leur avait intimé de vendre tous ses biens, tout ce qu'il avait et lui envoyer l'argent, explique Abdoulaye Thiam, qui avoue n'avoir pas été très tôt informé du cas de son ami.

"Un jour, alors que j'étais accompagné de son jeune frère à mon chantier, ce dernier pleurait après avoir reçu un appel téléphonique. Quand je lui ai demandé ce qui se passait, il a refusé au début de me parler de l'affaire. Mais après mon insistance, il a fini par m'avouer que Aliou Mangane avait été arrêté par la police, qui lui réclamait 1 500 000 FCFA, pour une affaire de drogue", raconte Abdoulaye Thiam.

Selon le jeune frère de Mangane, la famille avait tout fait pour rassembler cette somme d'argent en vain, et avait gardé l'affaire au secret pour que sa maman malade ne soit pas au courant. Mais les ravisseurs insistaient pour qu'ils envoient l'argent avant qu'il n'aille en prison, car si cela arrivait, il risquait de ne plus en sortir.

"C'est en ce moment-là que j'a pris mes responsabilités, comme c'est mon ami. Sur ma demande son jeune frère m'a remis le contact de l'intermédiaire qui l'avait attiré au Ghana, et qui communiquait avec la famille. Quand je l'ai eu au téléphone, il m'a dit la même chose qu'il avait répété à la famille. En lui demandant s'il était entré en contact avec l'ambassade du Sénégal au Ghana, il était évasif", explique Abdoulaye Thiam.

L'intermédiaire sénégalais avait fait croire qu'Aliou Mangane conduisait un véhicule de service et avait été arrêté par la police, lors d'un contrôle de routine, alors qu'un Ghanéen qui détenait de la drogue dans son sac était à bord.

Armé de courage et de détermination pour tirer son ami d'affaire, Abdoulaye Thiam s'est rendu au ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieure, où il a pris contact avec l'agent chargé des cas similaires. Ce dernier lui montra une pile de documents, des plaintes pour des gens qui auraient été floués et invités à voyager. L'agent, dit-il, lui indiqua que les jeunes avaient opté de voyager de leur propre gré, et qu'ils avaient de preuves certifiant que le réseau QNET était responsable.

Qu'est-ce qu'il fallait faire pour piéger ces arnaqueurs, dès lors que Aliou Mangane n'était plus joignable, étant l'otage de ceux qui l'avaient attiré au Ghana ?.

"J'ai alors fait un plan en appelant l'intermédiaire pour lui annoncer que j'avais réussi à rassembler 500 000 FCFA. Il m'avait souligné que c'était déjà bien. Ayant obtenu le numéro de Lamine Sané, vice-président de l'Association des Sénégalais établis au Ghana, il me fit savoir que ce sont des arnaqueurs", raconte Abdoulaye Thiam.

"Soit il est kidnappé, dit-il, soit il fait ça pour se faire de l'argent", lui avait expliqué Lamine. Après vérification des services consulaires, il n'y avait pas de Sénégalais arrêté sur une affaire de drogue au commissariat qu'il avait indiqué.

Pour le piéger, Thiam lui avait suggérer d'aller récupérer l'argent chez un ami commerçant établi au Ghana qui l'attendait près de l'ambassade du Sénégal. Après avoir rencontré Lamine qui l'avait conduit à l'intérieur de l'ambassade, il a été arrêté.

Interrogé par les services consulaires, il avait essayé de persister sur ses mensonges. Alertée, la police ghanéenne qui attendait en dehors de l'ambassade l'avait appréhendé à sa sortie. C'est après qu'il avait conduit les agents de police à une maison qu'ils avaient louée pour leur entreprise d'escroquerie.

La police a trouvé sur place plusieurs personnes, dont Aliou Mangane et deux autres individus que ce dernier avait fait venir du Sénégal, par le même scénario. Ils ont tous été appréhendés et conduis au commissariat, pour les besoins de l'enquête.

Contacté par la BBC pour apporter son témoignage, faire le point sur l'ampleur du phénomème, et éclairer sur le nombre de Sénégalais qu'il connait dans cette situation de désespoir, Lamine Sané a décliné, évoquant des raisons professionnelles, liées à sa collaboration avec l'ambassade du Sénégal au Ghana.

Une tentative d'entrer en contact (par mail, par téléphone et par WhatsApp) avec les services du Secrétariat d'Etat aux Sénégalais de l'Extérieur n'a pas porté ses fruits. C'est tout au moins, un agent dudit secrétariat qui nous a répondu, mercredi 5 novembre, en ces termes : "(...) Je vais essayer de me renseigner et vous revenir d'ici ce soir inchaAllah".

Relancé jeudi matin, 6 novembre, par WhatsApp, un peu après 9h00, il a signalé qu'il était "en réunion" et qu'il nous ferait "signe juste après".

Jusqu'au moment de boucler ce travail, nous n'avons pas reçu son retour.

Les méthodes utilisées pour flouer les jeunes et les suggestions d'un psychologue-clinicien

Pour appâter les jeunes, les auteurs de ce type de supercherie les contactent via les réseaux sociaux, principalement par WhatsApp, Messenger ou TikTok.

Ils leur envoient de fausses invitations de clubs qui les auraient retenus pour passer des tests, avec de faux documents contenant des logos téléchargés sur internet.

Certains s'autoproclament être des agents de recrutement de clubs ou des académies souvent fictives ou existantes et leur font de fausses promesses d'essais.

Mais ce qui est bizarre, c'est que les intéressés doivent tout payer par eux-mêmes : le transport par voie terrestre pour la plupart, vers la Côte d'Ivoire ou le Ghana, l'hébergement et l'accommodation.

Dans un entretien avec le psychologue-clinicien sénégalais Sérigne Mor Mbaye, il ressort que l'un des facteurs de risque, "c'est que (les) jeunes entreprennent des voyages ou des transactions, sans que leurs familles ne soient informées".

"Les jeunes en Afrique constituent aujourd'hui 60 % de notre population, avec une moyenne d'âge de moins de 25 ans. Ils sont pour la plupart du temps sans perspective et sont généralement sous pression sociale. Comme je dis, ils sont dans un camp. Dès lors, sur le continent, nous observons depuis plusieurs décennies une grande mobilité de jeunes gens qui sont souvent exposés à des risques d'exploitation, qui sont souvent victimes de traumatismes", explique Sérigne Mor Mbaye.

"Il y a eu des milliers de morts en 2021, dans la Méditerranée et ne parlons pas de la voie transsaharienne qui les conduit vers la Libye et le Maghreb où ils sont réduits carrément en esclavage", rappelle le psychologue-clinicien.

Dans ce contexte où "il y a tous les possibles en termes de facteurs de risques pour les jeunes", la problématique maintenant, "c'est ce que les États doivent faire pour atténuer le sentiment de désespérance, de manque de perspective, qui font qu'il est quasiment impossible d'arrêter cette vague-là", poursuit le directeur du Centre de guidance infantile et familial.

"Je pense qu'il faut que les états prennent leurs responsabilités en sachant que, et c'est un dividende démographique, que 60 % de la population ont moins de 25 ans. Il faut qu'ils comprennent que c'est une bombe à retardement, parce que lorsqu'on observe même le phénomène d'insécurité dans le Sahel, ceux qu'on appelle communément les djihadistes ils recrutent parmi ces jeunes en situation de désespérance", explique l'expert en appui psychosocial aux groupes vulnérables.

"Que faut-il faire ? Il me semble qu'il y a une nécessité pour les États d'investir sur ces jeunes générations chargées d'élaborer le futur, parce que c'est une dividende démographique remarquable, mais ça peut aussi être (...), comme je dis, une source d'instabilité dans nos pays du fait de leur demande qui n'est pas satisfaite", indique Sérige Mor Mbaye.

Selon lui, il y a une nécessité d'accompagner les jeunes en termes de santé mentale".

"Dans le contexte de mes voyages vers l'Espagne, dans les îles Canaries, j'ai vu qu'ils sont tous affectés par de multiples traumatismes liés aux voyages effectués", dit-il.

"Il faut qu'il y ait un accompagnement institutionnel lorsqu'il s'agit, par exemple, de ces jeunes footballeurs", suggère-t-il.

"Il y a quelques années, j'avais sollicité une connaissance pour lui dire mais tiens, il faudrait peut-être un accompagnement tout à fait psychologique à des fins d'aider ces jeunes-là à pouvoir aborder cet ailleurs qui est tout à fait dangereux, qu'ils ne connaissent pas, même s'ils sont enrôlés dans des équipes parce qu'il y a souvent de l'immaturité, il y a le problème de la transplantation dans des pays qu'ils ne connaissent pas, et ceci peut nourrir des situations d'échec", révèle M. Mbaye.

"Je pense qu'il y a tout un travail institutionnel de sensibilisation et de contrôle, de surveillance pour que ces jeunes-là puissent recourir à ces instances pour pouvoir faire carrière. Il faut carrément une politique de protection parce que ce sont des jeunes, des enfants et les familles ne sont pas forcément disponibles pour les accompagner", conclut-il.

Vies brisées, familles endettées et le poids du silence social

Le jour de son départ, Cheikh Touré ne savait pas qu'il faisait ses derniers adieux à sa mère, qu'il ne reverra plus jamais, puisque c'était son ultime voyage.

Il était convaincu qu'il venait de décrocher la plus grande opportunité de sa vie, celle qui lui permettrait de sortir du lot et d'exceller dans sa passion : le football.

Le cœur lourd d'émotion, Diodio Sokhna se rappelle ces instants de séparation avec beaucoup de chagrin : "au moment de partir, je lui ai fait mes adieux comme le fait une mère à son fils qui voyage. Lui ayant intimé de tendre les mains, j'ai prié pour que Dieu le protège de tout danger, de toute malice venant d'un quelconque malfaiteur, que Dieu lui donne la paix et le couvre de ses bienfaits, pour qu'à son retour, qu'il puisse m'honorer si je suis encore là, ou qu'il puisse se prendre en charge lui-même. Mais Dieu a décidé autrement. Je ne fais que le remercier", raconte-t-elle en sanglots à la BBC.

"Je suis la seule avec Dieu à connaitre l'intensité de ce que je ressens. Mais avec le soutien national, l'élan collectif de solidarité et de compassion, la douleur est un peu moins pénible pour moi. Tout le monde compatit à mon chagrin", a souligné Diodio Sokhna.

"Mon téléphone ne s'arrête pas de sonner. Le monde pleure et prie pour Cheikh. Je souhaite que les gens continuent de prier pour lui, pour qu'il aille au paradis éternel, auprès du prophète Mouhammad (psl)", dit-elle.

"Mon fils est digne. C'est un bon musulman, un vrai talibé de Serigne Saliou. Il était pieux, et ne ratait jamais la prière à la mosquée. La seule des 5 prières quotidiennes qu'il effectuait à la maison, il le faisait à 4h30 quand il devait aller à l'entrainement, puisqu'il était conscient qu'elle le trouverait en route", confie la mère éplorée.

Un élan de solidarité a été mobilisé pour rassembler des fonds pour la famille Touré, mais quelqu'en soit la somme, il ne pourra jamais refermer la blessure psychologique ouverte depuis l'annonce de la mort du jeune footballeur.

Encore sous le choc, Amadou Niang, son meilleur ami qui l'avait accompagné à la gare des Baux Maraichers, raconte comment cette tragédie a brisé l'espoir de toute une famille.

"Cheikh était passionné de football. Il me disait toujours : Seven, c'est dans le foot que je vais réussir pour aider ma mère. (Temps de pause pour essuyer une larme qui coule.) Il avait la détermination et l'espoir qu'en allant au Ghana, il y trouverait ce qu'il voulait. Mais malheureusement, c'est par ce qu'on aime le plus qu'on passe toujours pour te tromper. C'était la seule voie par laquelle on pouvait passer pour le flouer, parce que c'était sa passion", raconte Amadou Niang, dit Seven.

Pour sa part, après son retour au Sénégal, Aliou Mangane n'a pas jusqu'ici réussi à se remettre de sa déception, à la suite de sa mésaventure.

Faisant seul face à la dette, à la honte et au silence social, il a décidé de fermer définitivement ce chapitre douloureux de sa vie.

Incompris et jugé par les regards inquisiteurs des autres, il se bat inexorablement pour refaire sa vie, après son rêve brisé.

Le nom de QNET revient presque dans la majorité des récits sur les réseaux sociaux. La société est pointée du doigt comme étant à l'origine du phénomène qui ronge la jeunesse africaine.

QNET, entre accusations et démenti

Dans la clameur de ces accusations, la BBC est entrée en contact avec Francis Sam, le responsable des relations publiques de QNET en Afrique subsaharienne.

"QNET dément catégoriquement toute implication dans la mort tragique du footballeur sénégalais, victime présumée de trafic d'êtres humains vers le Ghana. Nous sommes profondément troublés par ces allégations infondées, qui semblent provenir de spéculations non fondées de certaines personnalités des réseaux sociaux au Sénégal et qui ont depuis été amplifiées sans preuve", a réagi Francis Sam.

Selon lui, "la couverture médiatique s'est montrée nettement plus responsable (…) au Ghana, où le corps du jeune homme a été retrouvé". Francis Sam a indiqué qu'"aucun média crédible n'a établi de lien entre QNET et cette tragédie".

"Comme indiqué dans notre communiqué officiel adressé aux médias sénégalais, QNET n'a joué absolument aucun rôle dans cet incident. Nous avons également exprimé notre entière volonté de coopérer avec les autorités compétentes dans le cadre de leur enquête afin d'établir les faits", poursuit Francis Sam.

"QNET condamne fermement toute forme d'exploitation, de trafic ou d'abus. Notre entreprise opère dans le strict respect des lois locales et internationales et applique une tolérance zéro pour tout acte portant atteinte aux droits humains ou aux pratiques commerciales éthiques", ajoute-t-il.

QNET reconnait que des personnes usurpent son nom pour des activités illégales. "QNET est pleinement consciente de l'utilisation abusive de son nom par des individus et des groupes malhonnêtes dans certaines régions d'Afrique de l'Ouest. Ces imposteurs exploitent notre marque pour appâter les demandeurs d'emploi et les entrepreneurs avec de fausses promesses d'emploi, d'immigration ou de rendements financiers irréalistes", a indiqué Francis Sam.

Profondément préoccupés par ces actes criminels, dit-il, ils ont pris une série de mesures proactives pour les combattre, dont la campagne contre les arnaques lancée au Ghana en 2024, puis étendue au Sénégal et à la Sierra Leone.

"Cette initiative s'appuie sur la communication, la sensibilisation des communautés et les partenariats avec les acteurs locaux pour aider le public à identifier et à signaler les fraudeurs qui utilisent abusivement le nom de QNET", révèle Francis Sam.

Le responsable des relations publiques de QNET en Afrique subsaharienne a signalé que QNET collabore également avec "les forces de l'ordre locales, la société civile et les organismes de réglementation afin de protéger les personnes vulnérables contre l'exploitation".

D'ailleurs, précise-t-il, l'organisation "a signé un protocole d'accord avec le Bureau de la criminalité économique et organisée (EOCO) afin de renforcer les enquêtes, de partager des renseignements et de sensibiliser le public à l'utilisation abusive de la marque".

Un système continental : le business de l'espoir

L'affaire Cheikh Touré va au-delà des frontières du Sénégal. C'est un véritable système continental qui est observé un peu partout.

Au Nigéria, Oluwashina Okeleji, journaliste de télévision et spécialiste du sport africain, a fourni à la BBC son témoignage sur le phénomène de la tromperie dont sont souvent victimes les jeunes footballeurs africains.

Ayant travaillé pour BBC Sport de 2004 à 2023, pour le magazine World Soccer, pour Al Jazeera et pour le journal anglais The Guardian, il capitalise une grande expérience sur l'environnement du football africain.

Tout d'abord, il évoque le caractère tragique et inquiétant de la mort de Cheikh Touré, qui faisait face à un avenir prometteur.

"La mort de Cheikh Touré est vraiment tragique, un chapitre sombre et inquiétant dans l'histoire du football africain. C'était un jeune homme, un gardien de but prometteur, dont la carrière a été brutalement interrompue par les démons qui rongent le football, ces monstres et ces individus malfaisants qui sèment la terreur et la tristesse dans ce qui fait la grandeur du football", dit-il.

Pour lui, ce cas est "un avertissement", mais aussi "un triste exemple qui montre à quel point les footballeurs doivent être vigilants".

"Je pense que c'est un avertissement aux footballeurs professionnels, et bien sûr aux jeunes espoirs : tout ce qui brille n'est pas de l'or. Il faut parfois se méfier des personnes avec lesquelles on s'adresse", témoigne le journaliste sportif.

"Les joueurs rêvent de devenir footballeurs professionnels. Ils ont le droit de rêver. Ils ont le droit de changer de carrière, mais ils ne doivent pas tomber dans le piège", dit-il.

"Je connais des footballeurs qui ont été manipulés, trompés et dupés. Ils ont été escroqués par de faux agents, par des personnes se faisant passer pour des hommes d'affaires du football, munis de fausses lettres d'invitations, qui les emmènent dans des endroits terribles en Afrique et en Asie, et les abandonnent dans des conditions épouvantables. Nous avons connu des joueurs piégés, certains déshumanisés, privés de leurs passeports, etc.", poursuit-il.

"Je pense qu'une sensibilisation sociale est également nécessaire. J'espère que les joueurs africains seront sensibilisés et prendront conscience des dangers qui les menacent constamment", plaide-t-il.

A son avis, "il faut aussi une campagne menée par les syndicats de joueurs à travers l'Afrique, ainsi que par les instances du football comme les fédérations et la FIFA, pour alerter les jeunes espoirs sur la nature des communications et les inciter à être vigilants face aux signes avant-coureurs de la peur".

"Il faut tirer la sonnette d'alarme et les mettre en garde", conclut le journaliste sportif nigérian Oluwashina Okeleji.

Le dernier "match" de Cheikh Touré

C'est le samedi 1er novembre 2025, en milieu de matinée, la maison mortuaire accueille des parents et des amis. C'est enfin l'épilogue sur cette tragique partie de jeu qui a coûté la vie au jeune gardien de but Cheikh Touré, dont l'arrivée de la dépouille est annoncée pour 17h à l'aéroport international Blaise Diagne (AIBD) de Diass.

Diodio Sokhna, sa mère, nous annonce qu'elle sera déposée à son arrivée à la mosquée Ndawene de Yeumbeul, d'où il sera accompagné à sa dernière demeure le lendemain dimanche 2 novembre à Touba.

Très affectée et lasse de pleurer, Diodio Sokhna dit s'en remettre à Dieu et remercie tous les Sénégalais et les autorités qui ont déployé tous les efforts nécessaires pour le rapatriement de la dépouille de son fils.

Amadou Niang, dit Seven, son meilleur ami, est toujours aussi affecté par la disparition tragique de son ami. C'est lui qui l'avait accompagné à son départ au garage des Baux Maraichers, mais il va l'accueillir aujourd'hui, revenant dans un cercueil.

Le cœur lourd et groggy, les yeux rougis par le manque de sommeil et les pleurs, il a toutefois tenu à prodiguer un conseil aux jeunes de son pays.

"Je conseille à la jeunesse de méditer sur le cas de Cheikh Touré, qui doit éveiller tout le monde. Ce cas doit leur permettre de comprendre qu'il ne faut jamais se précipiter dans la vie, qu'ils doivent toujours verrouiller leurs rêves. Car si les gens connaissent ton rêve, s'ils savent exactement ce que tu veux, c'est par là qu'ils vont passer pour te tromper", dit-il.

Selon lui, les cas d'arnaques ne se limitent pas exclusivement au seul domaine du football, mais ils existent dans beaucoup d'autres domaines.

"Même à travers les bourses, ils arnaquent les jeunes. Il faut être prudent et comprendre que rien n'est gratuit dans la vie. Il ne faut pas se précipiter, toute chose va arriver à son heure. Il faut s'armer de patience, car si Dieu décide que tu vas réussir dans tel ou tel domaine, personne n'y pourrait rien. Il faut être plus vigilant", a conseillé Seven.

https://www.youtube.com/watch?v=nTsbo09kkww

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